Quel Carrière !
Au début des années 2000, je pars m'installer à New York où je vivrai jusqu'en 2005. Après mon premier séjour de boursier en 1994 et de nombreux allers retours, je fais une demande de visa d'artiste que je renouvellerai à quatre reprises. À cette époque, je joue en France avec un quartet que j'avais emmené enregistrer là-bas deux fois. En février 1997 (Jaywalker, Enja), avec Jean-Christophe Béney au ténor, Jules Bikôkô bi Njami à la contrebasse et Daniel Garcia Bruno, puis à nouveau en 1999 (Versatile, Cristal Records) avec la même équipe à l'exception de Philippe Soirat qui avait remplacé Daniel à la batterie.
À cette époque aussi, et pour justement pallier ce genre de situation, j'avais commencé à travailler sur un trio atypique avec les merveilleux saxophonistes Olivier Zanot (alto) et David El-Malek (ténor). Cet étrange oiseau à deux becs avait donné son premier concert un peu plus tôt grâce à Vincent Jacqz qui nous avait programmés dans une galerie du sud de Paris. Je propose donc ce groupe à Didier à la place de mon quartet indisponible, ce qu'il accepte volontiers à la condition toutefois que Claude Carrière et Jean Delmas acceptent à leur tour. Claude me téléphone dans la matinée pour me dire son impatience de découvrir une orchestration dont dit-il, après avoir effectué quelques recherches, il n'a trouvé aucun équivalent dans le passé. Songez que ces trois programmateurs ont accepté de faire venir deux soirs de suite, un weekend, un trio de jeunes trentenaires et de l'enregistrer en direct sur une radio nationale sans avoir entendu une seule note du répertoire. Comme ce temps semble lointain.
Après ce weekend mémorable, Claude m'appelle lundi matin, et me propose de passer chez lui pour écouter quelques morceaux de nos sets du vendredi. Il pense qu'il y a matière à en faire un disque et va m'aider à obtenir les droits de Radio France. Avec Eric Debègue de Cristal Records, nous organisons la sortie au début de l'année 2002. En septembre de cette année, je joue à Vevey (Suisse), toujours avec Philippe Soirat, pendant un mois dans le groupe du saxophoniste vaudois Cyrille Bugnon (Patrice Moret est à la contrebasse) quand je reçois à nouveau un coup de fil de Claude. Il m'apprend que le disque enregistré au Duc (Laurent Coq Blowing Trio Live@The Duc des Lombards, Cristal Records), et dont il a signé les notes de pochette, vient de recevoir le Prix Charles Cros.Pour sa confiance et sa générosité —les heures passées à écouter Duke Ellington chez lui, l'entendre raconter des anecdotes sur tous les maîtres qu'il a vu passer à Paris, découvrir tant d'enregistrements inédits, le retrouver souvent aux concerts avec toujours le même enthousiasme— j'ai dédié à Claude Carrière le premier morceau de Spinnin' (enregistré en trio avec Reuben Rogers et Otis Brown III en 2004) que j'avais intitulé Claude Sait (un clin d’œil à l'initiale de son nom de famille) et que nous avons à nouveau enregistré avec Elisabeth Kontomanou en 2005 (rebaptisé The Bird In Me).
Nous sommes nombreux ce matin à pleurer sa disparition. Pendant des décennies il fut un soutien indéfectible pour la musique et pour les musiciens. Pianiste érudit et élégant, il était aussi un père et un grand-père aimant. Mes pensées vont à sa famille, et à tous ceux qui l'ont aimé. Ils sont nombreux.
> À VOIR ; Cette interview de Claude que j'avais réalisée en septembre 2011 au moment de la création de ce blog.
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