Deezer, ou la fin de la diversité.


On a appris ce matin que Axel Dauchez, le patron de Deezer, a été promus Chevalier de la Légion d'Honneur et on a manqué de s'étouffer. Au nom de quoi l'un des grands artisans du streaming reçoit une telle distinction ? Pour avoir complètement asséché le marché en proposant de la musique quasiment gratuitement à ceux qui avaient déjà du mal à acheter un disque quand il était disponible sur les plates-formes de P2P ? Pour payer - à l'instar de son concurrent Spotify - entre 0,006 et 0,0084 euros par titre écouté aux ayants-droit ?

Le streaming n'est absolument pas viable à terme, car il consiste à mettre à disposition de tous du contenu que l'on n'a pas produit et que l'on ne rétribue pas suffisamment pour permettre aux artistes d'amortir leurs coûts de production. Comment dans ces conditions assurer la création de nouveaux contenus ? Les seuls qui parviendront à trouver les ressources nécessaires pour le faire seront ceux qui auront les faveurs des publicitaires. On imagine sans peine que cela ne concerne en rien les musiciens de jazz ou de toute autre musique qui n'est pas diffusée sur les grands médias généralistes.

Dans ces conditions, c'est l'appauvrissement assuré, l'uniformisation par le bas de la musique pour la plus grande majorité du public. De fait, c'est la fin de la diversité. D'ailleurs il est frappant de constater que plus aucun artiste d'envergure n'émerge depuis dix ans. Où sont les Stevie Wonder, les Léo Ferre, Michael Jackson, les Jacques Brel, Serge Gainsbourg, les Peter Gabriel, les Marvin Gay, les Beattles d'aujourd'hui ? Ils existent c'est certain, mais ils n'ont plus la possibilité de se faire entendre dans un univers complètement saturé où ne prime plus que l'immédiateté, où le seul critère qui compte, c'est le nombre de hits enregistrés dans les premières semaines. Tous les musiciens dont la musique est si singulière qu'elle demande un peu de temps pour être entendue n'ont plus aucune chance de trouver leur public. Quand on ne mise plus que sur le plus grand dénominateur commun, on fini avec TF1. Qu'est-ce que TF1 a produit de bien depuis vingt ans ?

J'entends parfois qu'on nous rétorque "mais vous avez les concerts où vous pouvez vendre des disques". C'est vrai que nous continuons à vendre des disques en concerts, mais pas assez pour rentabiliser l'énorme investissement qu'ils représentent. Pourtant, sans disques, point de concerts… 

Heureusement, on voit enfin apparaître des offres alternatives de streaming qui prennent en compte les besoins des artistes, mais quelle chance ont-elles face à des mastodontes comme Deezer ? Avec cette légion d'honneur, force est de constater que le chemin est long : si au plus haut niveau de l'état on n'a pas encore pris conscience de la gravité de la situation, comment peut-on espérer un changement rapide des mentalités du grand public ? Il serait pourtant bien temps qu'il prenne la mesure des conséquences de ses habitudes de consommateur de musique, exactement comme il l'a fait avec la grande distribution. Car ce que Carrefour fait aux petits producteurs de fruits et de légumes, Deezer le fait aux musiciens.

Commentaires

  1. Cher Laurent,
    Pour répondre à notre "cher anonyme" qui ne semble pas avoir bien compris ce qu'est la droite en politique....car c'est bien de ça dont il parle ?....ton post ci dessus est une réponse limpide....encore faut-il en saisir le sens.. être de droite c'est dénoncer la marchandisation de la culture...C'est défendre la création contre " l'uniformisation" à la recherche du profit maximum...voilà bien ce qui s'appelle être de droite...ou, comme dit notre anonyme, aller vers....alors je n'ai rien compris..
    JPBailay

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  2. Axel Dauchez a démocratisé l'accès à la culture (pas aussi bien que le partage cependant) et ça c'est toujours une très bonne chose. Si certain style ne sont plus assez populaire pour en vivre (et qu'en plus le dit public de cette culture de niche est radin) c'est franchement pas grave

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  3. Votre constat sur l'évolution des habitudes musicales du public est sans doute juste, mais je pense que vous vous trompez de cause. En effet, les gens n'ont jamais eu autant accès à des offres diversifiées que depuis que les plateformes de streaming existe : avant pour écouter la musique il y avait la radio et les magasins type FNAC. Pour découvrir de la musique à la radio, il y a, à peu près, 1h30 de musique qui tourne en boucle, vive la diversité... Pour ce qui est des magasins, perso, je n'écoutait que les albums que j'envisageai d'acheter pour être sur que tout l'album me plaisait car il y a mieux à faire que de passer sa vie dans le magasin. Depuis qu'il y a Deezer et autres Spotify, les gens ont la possibilité de découvrir des artistes peu médiatisés et çà je pense que c'est une bonne chose pour les artistes qui ont accès à un public plus vaste.
    Pour moi, la fin de la diversité vient des médias telle que la télé, où l'on ne voit plus que des émissions où les chansons sont vieilles de + de 30 ans...
    Je ne me souvient pas du dernier artiste que j'ai découvert grâce à la télé par contre je peux citer un paquet d'artiste que j'ai découvert grâce à deezer, par ex : Death cab for Cuties, Empire of the Sun, Fytch, The Jezabels, Kavinsky, les compilations Kitsuné maison dont je ne conaissais pas un seul artiste, M83, Monarchy, Neo Retros, Sporto kantes, TheGlitch Mob, The Temper Trap, Thomas Newson...En prime, je suis devenu plutôt fan de quelques uns de ces artistes.

    Il n'en demeure pas moins qu'il ne méritait pas ce titre pour ça...tout comme 95% des personnes qui ont reçu un titre.

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    1. Vous avez raison sur bien des points. Mais il me semble que vous en oubliez un de taille, c'est la fait que pour avoir accès à la totalité du catalogue, il suffit de payer le prix d'un disque. Cette économie n'est pas viable et menace la production. Elle encourage les labels (qui acceptent d'y faire figurer leurs artistes car tous ne le font pas, loin s'en faut) à ne promouvoir que ceux qui ont un fort potentiel commercial. La manière même dont Deezer propose des artistes suit la même logique que sur n'importe quelle plate-forme de continu, exactement comme sur Youtube. Plus les artistes sont écoutés, plus ils ont de chances d'être proposés à l'écoute. Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile de faire entendre la diversité. C'est d'autant plus triste que cette diversité existe bel et bien.

      Mais c'est comme internet finalement. On voit bien qu'avec les grandes puissances qui se sont développées ces cinq dernières années (Facebook, Google), et malgré une offre qui ne cesse de s'étendre, l'immense majorité des internautes ne sort plus de ce qu'elle trouve via ces portails. En donnant l'impression d'offrir plus de contenu, dans les faits, c'est l'inverse qui se produit.

      Évidemment, il y aura toujours des gens pour sortir des sentiers battus, et qui auront la curiosité d'aller traîner ailleurs. Mais ils ne seront plus assez nombreux pour assurer une économie viable. La production coûte toujours aussi chère, mais les ressources se sont taries. La plupart des internautes qui payent leur abonnement à Deezer estime probablement que ce sera leur seule contribution financière aux artistes musiciens. Or, quand on voit ce que redistribue Deezer, on comprend sans peine que cela ne permettra pas aux artistes de poursuivre leur travail. C'est un modèle économique qui n'est pas tenable pour les artistes.

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  4. Quels sont les autres solutions pour écouter de la musique? Acheter un disque à 20€? Mon budget ne me permet pas d'en acheter plus que 1 ou 2 par mois (25 musiques par mois c'est juste)... Écouter les maigres playlist des radios? Pffff quelle blague, trop de pub, contenu trop récurrent, et rien d'original. Regarder les émissions TV? A part Tracks et Taratata (qui sont très bien) je ne vois rien d'autre de correct. Votre argumentaire ne tient pas debout, comme un internaute l'a commenté sur cette page, je n'ai jamais autant écouté de musique diversifié que depuis j'ai l'abonnement Deezer. Certes les revenus pour les artistes sont peut-être bas, ceci est dommage pour les artistes qui sont déjà très connus, et tant mieux pour les artistes inconnus, qui ont une plateforme qui veulent bien diffusé leur art et les rémunéré pour ça, les autres médias n'en font pas autant. Par contre vous pouvez parler de la qualité de codage de Deezer (et les autres) qui est discutable et qui amoindri l'expérience, là je suis d'accord.

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    1. Exactement comme avec la grande distribution qui ne paye pas aux maraîchers le juste prix de leur produits afin qu'ils puissent vivre décemment de leur travail, deezer ne paye pas les musiciens suffisamment pour qu'ils puissent continuer de travailler dignement si ce modèle venait à se généraliser.

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    2. Il existe de nombreux sites où l'offre est d'une grande qualité, tant au niveau musical qu'au niveau de l'échantillonnage des fichiers (Emusic, Bandcamp, etc), ou même des plate-forme de streaming qui propose de la musique très bon marché (un disque sur Emusic coûte en moyenne 4euros). Votre référence de 20euros n'est pas crédible. La musique à un coût et elle doit être rémunérée à sa juste valeur.

      Ce n'est pas parce que une chose est bonne pour vous qu'elle est bonne pour tout le monde. Il faut réfléchir aux conséquences d'un modèle économique qui ne reverse rien aux artistes. Vous dites que ça ne profitera pas aux artistes connus mais plus aux inconnus. Mais les artistes connus arrivent à vivre de leurs concerts. Les inconnus n'ont plus aucunes ressources. C'est vôtre raisonnement qui ne tient pas debout.

      Moi ce que j'entends quand je vous lis c'est "comment je fais pour écouter toute le musique que je veux écouter si je n'ai pas d'argent". Ça ne vous viendrait pas à l'idée de dire "comment je fais pour manger dans tous les restaurants que j'aime si je n'ai pas d'argent ?"

      Ce que je constate c'est que tout le monde est prêt à payer une fortune les écrans plats ou les café à starbucks mais plus pour la musique. La musique est devenu un droit.

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    3. À ce titre la fin de votre message est édifiante : Non seulement je ne veux plus payer pour la musique, mais en plus il faut que les fichiers soient d'excellente qualité.

      Tout pour ma gueule.

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