Que fait la police ?

Au cœur de l'été, les esprits s'échauffent. Encore plus avec la perspective d'une rentrée catastrophique pour le spectacle vivant et la petite communauté du jazz en France. C'est au lendemain d'un concert au Sunside que j'écris ce billet. Le fameux club de la rue des Lombards qui déroule son festival Pianissimo sur l'été, initiative courageuse dans le contexte que l'on sait.

J'avais osé émettre une réserve au sujet d'une affiche qui choisit de mettre en valeur certains noms plus que d'autres ; J'adore ces affiches qui rendent compte avec précision du degré d'importance de chaque musicien. Comment ferait-on pour avoir l'info sinon ? avais-je écrit sur Facebook, comme un petit tacle amicale. Mais je n'oubliais pas d'insister sur la qualité des concerts à venir et la nécessité de ressortir dans les clubs qui, comme les musiciens, connaissent une situation inédite et très inquiétante. 


Plus tard j'ai écrit ceci à Stéphane Portet (qui a pris la succession de son père à la tête du club dans les années 90, et le dirige depuis). 

réflexion sur votre affiche. Mettre quatre tailles de police différentes avec un tel palmarès, c’est instaurer un degré d’importance qui est super violent et pas du tout justifié. Je ne parle même pas de moi (honnêtement, maintenant et tu as dû le comprendre depuis dix ans, j’en n'ai plus rien à foutre de mon image). Mais voir Alain Jean-Marie écrit deux fois plus petit que Macha Gharibian (qui fut mon élève…), c’est absurde. Super maladroit et franchement à éviter à l’avenir. On traverse tous une période super difficile, et ce serait bien qu’on sorte de là avec des pratiques plus inclusives, respectueuses et attentives. 
J'aurais pu mentionner le nom de René Urtreger évidemment. Une fois de plus, cette parole était insupportable. Comment osais-je écrire cela, alors que toute la profession risque l'effondrement ?

Ces derniers jours je me faisais cette réflexion. Quand le personnel hospitalier demande plus de moyens et de meilleurs conditions de travail, on ne leur fait jamais le reproche de vouloir détruire l'hôpital public. On sait tous à quel point c'est même le contraire qui les mobilise. Si ils descendent tous dans la rue en blouse blanche, c'est bien pour prendre la défense de leur secteur bien mal en point. Quand un musicien ose émettre une critique sur les programmateurs, et les clubs qui les emploient, c'est pourtant toujours le procès qui lui est fait. 


Je joue dans la rue des Lombards depuis plus de 30 ans avec d'innombrables groupes, j'ai enregistré un Live au Duc en 2002 qui a reçu le prix Charles Cros, et ce sont dans ces clubs que j'ai entendu mes plus beaux concerts à Paris. Hier soir encore, c'est devant une salle bienveillante et attentive que j'ai pu présenter ma musique une énième fois, et j'en remercie Stéphane, le Sunside et son équipe. Quel bonheur de retrouver cette ambiance, et d'aller au comptoir du Baiser Salé après notre concert pour écouter des jeunes et talentueux musiciens refaire la nuit après leur préstation.

Pense-t-on sérieusement que je souhaite la disparition de ces institutions ? Je ne joue plus au Duc depuis la naissance de ce blog. Aucun des disques que j'ai sortis depuis n'a été programmé sur la radio TSF (personne ne s'émeut de cette censure parce que nous sommes tous asservis). Je n'ai jamais joué au Triton ou la Dynamo de ma vie, ma musique ne les intéresse pas. La scène française est ainsi faite qu'elle est très fragmentée, les lieux subventionnés programmant toute une scène qui par ailleurs ne connait pas la rue des Lombards.

Hier, Sébastien Vidal - qui rappelons-le est à l'origine de ce blog - à publié un texte sur Facebook que je reproduis ici, puisqu'il me met
directement en cause sans que je puisse y répondre (Sébastien m'ayant bloqué sur le réseau social).

Je suis très inquiet pas la situation de la musique vivante en France. Tout le monde semble attendre la fin de l’été ou je ne sais quoi sans vraiment prendre la mesure de la catastrophe annoncée. On a préservé les droits des artistes jusqu’en août 2021, c’était une mesure juste et forte. Mais c’est l’arbe qui cache la forêt. Le live en France survit dans un écosystème où nous sommes tous liés les uns aux autres. Les rapports entre publics et privés sont intimement liés contrairement à ce qu’on pourrait imaginer. Pour l’année qui s’annonce. Le CNM n’aura pas de financement en dehors des 50M que l’état a sauvé in-extrémis. (Perte estimée du live suite au confirment : 250M€) Et oui. Pas de billets vendus pas de taxe. La SACEM annonce une baisse de 50% de ses repartitions. L’ADAMI 30% et la Spedidam pas mieux. Beaucoup d’acteurs vont dégager. Ils étaient déjà fragiles avant le COVID. Et seront dans l’impossibilité de financer leur trésorie via le PGE faute de bilans propres.
Il n’y aura pas de retour dans les salles de concerts avant un moment. Et même si certains acteurs voudraient re-ouvrir en mode dégradé (30% de jauge, masque et tout et tout) il faudrait pour ça qu’il y ait des tournées. Or pas un artiste étranger ne mettra le pied en europe avant le printemps 2021 !!
Et les français me direz vous ??
Ben après ce que les producteurs ont pris dans la tronche, va falloir un sacré moment pour à nouveau miser à fonds perdus sur une résidence et monter un tour qui tienne la route.
Les festivals ? Ben quand il va falloir monter une prog sans le soutient des sociétés civiles, on va tous pleurer en regardant ceux qui survivent.
Quand aux petits lieux, on est KO debout. On a le choix entre ouvrir et perdre notre chemise en disant qu’on est vivant et fermer et perdre notre chemise.
D’autant qu’il n’y a pas un musicien en ville pour venir boire une bière à 4€ sur la terrasse du club !!
Mais vous avez raison. Le soucis existentiel majeur c’est la taille de votre nom sur l’affiche du festival Piannissimo au Sunside.
Un lieu qui se bagarre, comme le Baiser Salé juste pour survivre à la période sans même savoir jusqu’à quand.
Comme disait Renaud du temps où c’était pas un pochtron, Mais putain, ou est-ce que j’ai mis mon flingue ?


Tout est très limpide dans ce texte. Ce qui importe ce sont les structures, les subventions, les producteurs, les tourneurs (et la poignée d'artistes TSF compatibles). Pas les musiciens qui sont ici présentés comme des enfants gâtés et ingrats. Ceux qui vivent avec tout juste le salaire minium - souvent moins - depuis toujours. Ceux qui envoient leur productions réalisées avec leur économies personnelles aux rédactions et qui ne sont même pas décachetées à réception. Ceux qui collectionnent les emails et les messages sans réponses. 

C'est la parole de quelqu'un qui a acquis une position dominante sans précédent dans le petit landerneau du jazz en France au point d'aller faire des selfies à Matignon où il est invité à présenter sa vision des choses. Depuis l'ouverture du blog son pouvoir n'a fait que s'étendre sans que rien ne vienne contrarier cette ascension. Pourtant depuis hier, surgissent à nouveau les messages de doléances de musiciens reconnus, exactement comme il y a 9 ans ici même. Ils disent encore le silence, le mépris et le manque de considération. Toujours la même litanie.
 

Mais oui, sans doute aurions-nous dû être davantage solidaires en nous retrouvant tous à la terrasse du Duc pour prendre des bières à 4 euros. Nous sommes des égoïstes auto-centrés, si peu reconnaissants envers ceux qui nous font vivre (non, non, ce n'est pas l'inverse). Cela n'a rien à voir avec notre condition toujours plus précaire, notre difficulté à exister dans un environnement impossible et notre faiblesse à nous faire entendre en dehors du cadre qui nous est alloué pour notre auto-promotion, au point que règne désormais une auto-censure assourdissante. 

Le monde d'après sera différent, mais dans quel sens ?

PS ; j'ai contacté Sébastien pour que nous nous retrouvions après toutes ces années et que nous échangions de vive voix. Il n'a pas souhaité donner suite à cette invitation. Il n'est pas trop tard.



Commentaires

  1. Toujours très cohérent et bien argumenté. Merci !

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  2. À Jazz Fola on a choisi de s’endetter pour pouvoir maitriser la perte mais surtout pour être présent, être debout, et montrer que la musique vivante peut apporter sa part de bonheur pendant cette période difficile. Et notre clientèle est plus que formidable car elle nous a soutenu pour constituer cette tresorerie improbable et continue en venant nombreux aux concerts. Les artistes aussi ont contribués largement, généreusement. Nous devons être tous solidaire et considérés au même plan. Le tissu culturel, ça veut bien dire qu'il y a des fils qui se croisent, se nouent pour faire une trame solide sur laquelle on peut alors broder les motifs. Je me rappelle la dédicace d’Eddy Louiss
    « En avant toute » . On va le faire, Eddy !

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  3. Ne manque plus que ce sujet à aborder et le débat sera global : 3 femmes leaders de projet programmées sur 31 programmation!

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