Veillée

Demain marque le dixième anniversaire de la lettre ouverte adressée à Sébastien Vidal pour l'alerter, lui et de nombreux autres acteurs du jazz, sur les dérives qui n'ont fait que s'accentuer depuis. Dans la foulée, ce blog avait vu le jour et s'était donné comme mission de défendre et célébrer une certaine musique de club, consciente de sa filiation afro-américaine, un jazz qui sait ce qu'est le swing, l'interplay et les échanges improvisés et non millimétrés comme ils le sont déjà partout ailleurs.

Ce coup de gueule avait libéré une parole de musiciens qu'on entendait jusqu'alors que dans le cadre autorisé et bien délimité de la promotion de leur travail. Pendant quelques semaines, ce nouvel espace numérique avait servi de cahier de doléance. Las, le #MeToo du jazz en France n'a duré que le temps nécessaire à ceux que cette parole remettait en cause pour rappeler leur position dominante.

De fait, rien ne semble s'opposer aux forces qui écartèlent la scène entre deux pôles ; d'un côté une volonté mercantile à promouvoir une musique bankable-jazzy-bling-bling TV friendly incarnée par TSF Jazz pour ne citer qu'eux, et de l'autre, un courant idéologique portée par les institutions, un jazz contemporain comme on l'entend dans le monde de l'art, et qui se doit d'adopter tous les atours de l’œuvre radicale, forcément en rupture. Ni d'un côté, ni de l'autre vous trouverez la musique héritière des grands maîtres du jazz qui pourtant continue fièrement son chemin, ou alors à la marge. Vous aurez autant de mal à la trouver dans les festivals qui ont renoncé à présenter la diversité des propositions artistiques. Dans leur rôle de diffuseurs, ils se comportent dorénavant comme les acteurs de la grande distribution alimentaire, et on attend de voir émerger un réseau de circuits cours. Heureusement, des initiatives vont enfin dans ce sens.

Pour marquer ce triste anniversaire, je ne savais pas trop comment illustrer cette tendance lourde avec un exemple récent. C'est l'ineffable Louis-Julien Nicolaou (Télérama) qui vient à ma rescousse avec un papier daté du 29 mars et titré Jihye Lee réinvente le jazz de Séoul à New York. Sacrebleu ! Nous voilà rassurés.  J'aurais pu mettre la couve de Jazz Magazine d'avril une nouvelle fois consacrée à Prince (je ne pense pas qu'aucun autre musicien n'ait reçu autant de fois cette distinction).

À un mois de la disparition de Claude Carrière, je conclurai par les mots de l'immense Sullivan Fortner —déjà plusieurs fois salué ici— et qui nous semble proposer une définition parfaitement adéquate de la musique que nous aimons ;

Jazz est un paradoxe. C'est en même temps inclusif et non-inclusif. C'est laid et c'est beau. C'est cru et c'est raffiné.

(
Jazz is a paradox. It's inclusive and noninclusive at the same time. It's ugly and it's beautiful. It's raw and it's refined)

Vos remarques sur la décennie écoulée et l'état des choses sont les bienvenues en commentaire.

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